13.10.2020
La Petite Fille qui cueillait des histoires...
...m'a fait vivre une palpitante aventure littéraire !
Il faut absolument que je vous la raconte !
Mais d'abord, jetez un œil ci-dessous.
Êtes-vous surpris de me voir devenue « traductrice » ?
Je veux dire... d'un texte original en coréen !
Oui ?
Bon.
Alors d'accord, je vous dis tout.
Voilà comment cette aventure a commencé...
Il était une fois deux éditrices tombées sous le charme d'un splendide album, tout fraîchement paru en Corée. Elles acquirent le droit de l'éditer en France et se mirent en quête d'une traduction - non pas à partir du texte original, mais d'une version anglaise fournie par l'éditeur coréen.
Le texte en question est très court : quelques lignes à peine sur chaque double-page. (Et encore, certaines d'entre elles sont muettes.) Un travail facile et rapide à faire, pensez-vous peut-être... Eh bien non. C'est même tout le contraire !
S'il y a si peu de texte, c'est que les images parlent aussi. Beaucoup. Que les deux se répondent, jouent ensemble par association d'idées, clins d'œil et sous-entendus subtils. Soojung Myung parvient à dire, avec peu de mots mais une grande finesse, l'émerveillement fondateur que procure à un enfant l'exploration du monde à la fois par la culture et par la nature. Bref, ce livre est magnifiquement poétique... Or traduire de la poésie n'est pas simple.
Par un jour de confinement ordinaire et fort ensoleillé, les éditrices qui avaient cueilli ce trésor m'envoyèrent les images et le texte en anglais, puis m'appelèrent pour savoir ce que j'en pensais. J'étais évidemment tombée sous le charme à mon tour...
Comment ne pas aimer ces illustrations délicates, pleines de petits détails charmants, souvent amusants ? Et puis ce rouge... Si vous connaissez mes propres images, vous savez que celles-ci étaient faites pour me plaire ! J'acceptais donc la mission avec enthousiasme.
J'avais tout en mains : les illustrations, la version anglaise du texte et la liste des 24 titres de contes du monde entier cités dans les images. Le titre me plongea dans une grande perplexité : The skirt that spreads to the end - littéralement La jupe qui s'étend jusqu'au bout du monde. Il me semblait totalement incongru en français...
C'est pourquoi, avant même de traduire le premier mot, j'essayai de saisir le sens profond du livre. À me plonger dedans, j'avais l'intuition que, sous ses airs de jolie balade onirique au milieu des fleurs et des histoires, se cachait autre chose encore... Quelque chose que le texte en anglais ne me permettait pas d'appréhender.
Je commençai donc par tenter d'identifier clairement les deux contes évoqués dans chaque illustration. Leur choix par l'autrice était sans doute la clé du projet. Mais là, les ennuis commencèrent ! Car si certaines références paraissent évidentes - Mulan, Alice aux Pays des Merveilles ou Harry Potter - d'autres m'étaient totalement inconnues. De plus, la liste en anglais fournie par l'éditeur coréen comportait de nombreuses approximations : par exemple, un conte islandais présenté comme irlandais. (Un autre, qualifié de grec, se révéla plus tard être maltais...)
Je fis bien sûr de très nombreuses recherches sur Internet (en sous-traitant l'une d'elle à ma tante hellénophone ayant longtemps vécu à Thessalonique, où elle compte une multitude d'amis toujours prêts à l'aider ♥) dans l'espoir de trouver des versions françaises de chacun de ces contes... en vain. Beaucoup ne sont traduits ni dans notre langue, ni en anglais. Mais alors, comment comprendre le choix de l'autrice - et donc le sens profond de son livre - sans avoir lu ce à quoi elle fait constamment référence ? J'étais bien embêtée.
Les éditrices recontactèrent alors leur homologue coréen, qui leur indiqua la source quasi unique à laquelle Soojung Myung était allée puiser ses références. Il s'agissait d'un petit livre... allemand ! Paru en 1995, signé de l'autrice-illustratrice Helga Gebert, celui-ci s'intitule Woher und Wohin ? Märchen des Frauen - en français, D'où vient-on, où va-t-on ? Contes de Femme. Ô joie ! Non seulement j'allais pouvoir identifier clairement ces fameux contes, mais j'avais enfin le premier indice espéré sur les intentions de l'autrice coréenne... Ni une ni deux, les éditrices - telles de bonnes fées - trouvèrent, commandèrent et me firent livrer le recueil à domicile.
En attendant son arrivée, j'entrepris des recherches sur Soojung Myung, directement en coréen - merci Google ! Je finis par dénicher, sur le site de son éditeur, un petit texte qu'elle avait rédigé afin d'expliquer sa démarche. Et là, tout s'éclaira ! (Il faut juste, pour bien comprendre ses propos, avoir en tête qu'en Corée, pays où les écoliers portent des uniformes, toutes les filles sont en jupe.)
« Est-ce que cette jupe s'étend jusqu'au bout du ciel ? »
Mon neveu de cinq ans m'a demandé de mettre une jupe.
Ce livre est né de cet instant, de la beauté de mon neveu en jupe. (...)
Dans la longue histoire de l'humanité, les positions données aux femmes et aux hommes n'ont jamais été égales. Les chances ne sont pas données de la même manière, et la valeur non plus. C'est une réalité partout présente dans les livres et les films que les enfants lisent et regardent.
C'est pourquoi j'ai cherché et rassemblé des histoires de chaque continent, potentiellement utiles à une fille qui veut que sa jupe (NDLT : sa condition féminine) la fasse grandir et les ai brodées dans les larges jupes - allégoriques - de ce livre. J'espère que ces contes permettront aux filles d'élargir leurs jupes et aux garçons d'avoir une perspective plus correcte des femmes, afin qu'ils réalisent leurs rêves ensemble.
Évidemment, le monde change peu à peu et, à la fin, je pense qu'un jour viendra où toutes les filles et tous les garçons aborderont la vie de la même manière, étendant courageusement leurs jupes à leur guise.
Nous espérons que ce livre aidera ce jour-là à venir.
Ainsi, mon intuition était bonne : cet album, en plus d'être splendide et poétique, se révélait profondément féministe. La suite du travail devint alors beaucoup plus facile... bien qu'assez long, tout de même, puisqu'il me fallut d'abord traduire de l'allemand vers le français - sommairement, pour comprendre en quoi ils intéressaient Soojung Myung et son projet - chacun des contes puisés chez Helga Gebert !
Ensuite « l'interprétation » de ce texte dans ma propre langue fut un réel bonheur. (Comme le furent mes deux précédents travaux de réécriture - Brille encore Soleil d'or et Croc croc la Carotte - pour les éditions HongFei Cultures, à partir des images et d'une traduction "basique" des textes chinois.) Portée par la grâce des images, la chanson des mots s'écrivit avec légèreté.
Bref, je suis devenue traductrice.
(Et ce n'est pas fini... nouvelle surprise en novembre !)
14:01 Publié dans Ligne 9 (Station Bonne Nouvelle) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la petite fille qui cueillait des histoires, traduction, corée, féminisme, émancipation