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22.06.2010

Dijon-Buenos Aires-Dijon

[Une rencontre pas comme les autres... (suite)]

Comme je vous l'annonçais dans la note précédente, après une heure de rencontre avec deux classes de 4ème autour de mon roman Lettres à une disparue, je laissai volontiers ma place à deux témoins directs de l'époque, deux parents d'élèves argentins, venus nous raconter leurs enfance et adolescence sous la dictature...

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Claudio nous rappela tout d'abord combien son pays était jeune, puisqu'il proclama son indépendance le 25 mai 1810 - d'où la fameuse "Place de Mai"... - indépendance définitivement acquise le 9 juillet 1816. La population se composait alors essentiellement d'immigrés d'origine européenne : des Espagnols, mais aussi beaucoup d'Italiens et de Juifs de l'Est fuyant les pogroms. "D'ailleurs, ajouta-t-il en se tournant vers moi, l'idée des lettres écrites mais impossibles à envoyer de votre roman m'a rappelé cette histoire, car bien souvent les nouveaux arrivés perdaient tout contact avec leurs familles restées en Europe. Le courrier ne fonctionnait pas ; les lettres et les liens se perdaient..."

En 1970, après 15 ans d'alternance entre coup d'état militaire et renouveau démocratique, vient le temps de l'effervescence révolutionnaire mondiale. Qui, en Argentine, va générer la réaction opposée la plus dure : une dictature cruelle, qui se donnera pour mission de "couper le mal à la racine". "Lorsque j'avais 13 ans, on parlait d'utopie. Trois ans plus tard, tout était interdit. Malheureusement,  je dois dire que, peu à peu, on s'y fait."

Marina, la femme de Claudio, est plus jeune. Elle avait 8 ans lors du coup d'état qui amena Videla au pouvoir. "J'ai grandi dans une famille où le mot "politique" faisait figure de gros mot. L'auto-censure et la peur étaient permanentes... Mais, moi, je ne m'en rendais pas compte ! C'est impossible quand on ne connaît pas autre chose. Nous étions coupés de l'extérieur, sans point de comparaison. C'est en grandissant qu'on ouvre les yeux..."

La famille de Claudio était plus avertie, sans toutefois être engagée - sinon, sans doute ne serait-il pas là aujourd'hui... "Concernant les disparitions, des bruits circulaient : certains savaient, d'autres ne voulaient pas y croire. Le gouvernement prétendait que ces histoires étaient des affabulations - "No esta" dit Videla dans la vidéo de la note précédente - et qu'il s'agissait d'une campagne "anti-nationale" orchestrée depuis l'extérieur du pays. Les "Mères de la Place de Mai" furent surnommées "les Folles" afin de les discréditer. On disait qu'elles étaient payées par des "puissances étrangères"... Pourtant, dans ma propre classe de lycée, une année après l'arrivée des militaires au pouvoir, un tiers de mes camarades avait disparu."

L'argument du complot "anti-argentin" fomenté depuis l'étranger, raconte Claudio, sera utilisé et réutilisé sans cesse par le régime pour tenter de tenir le peuple uni, derrière son dictateur, contre le reste du monde. Ainsi fut interprêtée la question, un temps soulevée en 1978, du boycott de la coupe du monde de football, puis celle de la guerre des Malouines - folie militaire qui accéléra la chute de Videla, en 1983.

Pour finir, Claudio et Marina évoquent l'actualité, toujours hantée par les crimes impunis de la dictature - notamment, ces disparitions et adoptions forcées. Pour preuve, la veille de cette rencontre, les Abuelas de Plaza de Mayo (les "Grand-Mères" de la Place de Mai, les Melina qui cherchent leurs Nina...) venaient d'être officiellement déclarées candidates au Prix Nobel de la Paix par le célèbre comité. Dans le même temps, c'est-à-dire plus de 30 ans après les faits, se poursuit le procès de "l'Ange blond de la mort", le "fameux" capitaine Astiz...

La rencontre se termine sur la question de l'émigration. "Pourquoi êtes-vous partis d'Argentine ?" "Etiez-vous menacés ?" demande un élève... "Non, répond Claudio, avec son bel accent chantant, nous avons quitté notre pays pour des raisons économiques, lors de la crise de 2002... comme 280 000 autres Argentins ! Ma mère, qui est restée là-bas, dit d'elle-même et des gens de sa génération : nous sommes les enfants de ceux qui sont venus et les parents de ceux qui sont partis..."

Filiation, transmission, mémoire, ces mots sont là, qui sonnent et qui résonnent encore, à l'unisson des Lettres et de l'histoire, violente et tourmentée, des Hommes...

 

affichelettres.gifVoilà, notre belle rencontre "pas comme les autres" s'achève. Mais, je vous invite à la poursuivre en allant regarder, sur le site de l'INA, ce reportage d'époque (1982) qui vous éclairera sur le rôle d'Astiz. Ce document me permet, par ailleurs, d'adresser un signe d'amitié à son auteur, Philippe Rochot, grand journaliste - que j'ai eu la chance de rencontrer grâce à ce roman, Lettres à une disparue, précisément !* - et... Dijonnais, lui aussi ;-)

Encore un mot : Merci. Merci, oui, de tout coeur, à Mme Heitzmann et à ses collègues, mais aussi et surtout à Claudio et Marina, pour ce moment sincère, fort et précieux...

 

*Pourquoi ? Comment ? Un (petit) morceau de la réponse est , tout en bas de la page. C'était en mai 2000...

 

Commentaires

Merci beaucoup pour cette intervention dans notre collège.
Ce témoignage touchant et intéressant nous a permis de découvrir encore mieux l'Argentine ainsi que votre roman.
Nous sommes très heureux que nos articles vous ait plu.

Franco et Pierre, élèves de 4MU2

Écrit par : Franco Rabec et Pierre Le Boulanger | 01.07.2010

Me voici avec mes élèves en "salle info" pour cette dernière journée d'école : ils vont, je pense, ponctuer toute cette page de commentaires de leur cru. M. et Mme Rabec devraient également pouvoir vous lire prochainement. J'en profite pour les remercier une dernière fois de leur disponibilité. J'ai vraiment apprécié de pouvoir prolonger ainsi "notre belle rencontre". Je ne sais pas si nous pourrons renouveler cette expérience - a priori, je n'aurai pas de quatrièmes l'an prochain - mais nous aurons probablement l'occasion de nous rencontrer à Villeurbanne : l'année prochaine, je ne rate pas la date !!!
A bientôt donc...
Hélène.

Écrit par : Hélène Heitzmann | 01.07.2010

Votre livre c'est super trop d'la balle de la mort qui tue sa mère et déchire sa nardinamouck
Respect à donf meuf'!

Écrit par : John | 01.07.2010

Ecrivez-en d'autres, c'est nickel !

Écrit par : Tisteba | 01.07.2010

Les commentaires sont fermés.