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Et juste de l'autre côté de la Terre

 

060915bc2be462bc38062029e6c73eb6.jpgIl y a quelques semaines, j'écrivais ici une note concernant Un amour d'enfance, le futur ouvrage collectif publié pour La Charte, aux éditions Bayard.

Il s'agissait de plonger dans ses souvenirs de lecture les plus anciens. Parmi les miens, m'attendait celui d'un album étonnant. J'avais oublié son titre, mais pas son principe, très original : ce livre se lisait dans les deux sens, présentant tête-bêche ce qui se passait au même moment dans deux endroits opposés de la Terre. On y voyait les uns se lever le matin, tandis que les autres allaient se coucher. On y voyait Noël fêté sous la neige et, aux antipodes, sur la plage. Cela m’émerveillait.
Je crois qu'il s'appelait Et juste de l'autre côté de la Terre et qu'il est paru chez Flammarion dans la collection des albums du Père Castor. Mais rien n'est sûr... Si quelqu'un retrouve sa trace, je suis preneuse !
Les heures passées à plat ventre sur le tapis bleu de ma chambre, dans la contemplation de ces paradoxes géographiques, ont-elles influencé ma façon de ressentir les choses aujourd'hui ? Le fait est que j'ai du mal à comprendre, ou admettre, le contraste parfois violent entre ce que je vis ici et ce que vivent d'autres hommes, ailleurs sur la Terre. Pourquoi cette injustice ? Cette question est au coeur de mes romans - la douleur qu'elle me cause en restant sans réponse, le moteur de mon écriture. Je le sais, l'ai compris peu à peu. Mais la question demeure et la douleur aussi... C'est ainsi.
 
Il y a quelques semaines aussi, je prenais des nouvelles de Jocelyn Grange, le reporter auquel j'ai confié la lecture critique du manuscrit de Soliman le Pacifique avant publication et qui en a ensuite rédigé la préface. Je ne l'ai jamais rencontré, car nous avons travaillé par téléphone et courrier. Mais nous échangeons un petit message de temps en temps - je suis curieuse et j'aime savoir ce que deviennent les gens, surtout ceux pour lesquels j'ai une grande estime. J'ai parfois eu des nouvelles de lui par son père, que je connais un peu et qui travaille avec l'une de mes amies les plus chères... "Le monde est petit !" comme on dit.
Après quatre ans passés à Jakarta comme correspondant permanent de RFI, de TV5 et du Figaro - quatre ans durant lesquels il dut notamment rendre compte des dégats du tsunami - Jocelyn est désormais au Tchad, où il dirige la radio d'Abéché, La Voix du Ouaddaï. Voici quelques extraits de son dernier message, en espérant qu'il ne m'en voudra pas de le partager avec vous. Cela pourrait commencer ainsi : "Et juste de l'autre côté de la Terre..."
 

05bcb410181a58bcf5a5a5151865aed7.jpgLa ville est perdue au milieu du désert, on y accède uniquement par avion, des petits coucous à hélices de la United Nations Airlines. Les routes ne sont pas goudronnées et les gens tirent l'eau des puits grâce à des sauts sanglés sur des ânes. Je suis à des millions d'années lumières de Jakarta et des milliards d'années lumières de Paris. Les militaires tchadiens, la face voilée pour se protéger des vents de sable, conduisent des Toyotas équipés de lances roquettes RPG. Ils roulent comme des dingues en envoyant dans le caniveau les quelques motocyclistes locaux. Des rafales de kalachnikovs déchirent souvent  la nuit sans qu'on en sache précisément la raison. C'est le Far East. La région est surarmée et les Janjawid ("les démons à cheval" en arabe) traversent la frontière du Soudan. Ils font des raids pour piller les villages les plus isolés. En résumé : ils tuent les hommes et violent les femmes (ici, on est une femme à 12 ans). Bienvenue au Darfour. Quant aux camps de réfugiés, ça te pulvérise l'âme et le coeur chaque fois que tu y vas.

Je conduis un énorme Mitsubishi et j'habite dans une maison dont l'électricité dépend de l'approvisionnement en fuel d'un générateur vaguement en état de marche. Je n'ai ni télévision, ni frigo, ni air conditionné. Chaque jour est un nouveau combat. Je me lève chaque matin à 6H. Douche froide et petit déjeuner (café, pain, omelette). Je dois être à la radio d'Abéché à 7h30 maxi car les programmes débutent à 8H. Ensuite, c'est une accumulation de  problèmes techniques, de personnels, de gestion à gérer en fil continu. C'est assez épuisant. (...) Fiacre, mon chef de la formation, est très précieux. C'est un Burundais renommé dans son pays. Il fut un des seuls journalistes tutsis à faire des reportages dans les communautés hutus pendant le génocide au Rwanda. Nous serons bientôt rejoints par une consultante chargée de la formation de 6 journalistes tchadiennes et de 12 correspondantes réfugiées (soudanaises). Le recrutement est en cours.

Nous avons en ce moment des problèmes d'émetteur à Abéché. L'antenne lâche en fin d'après midi car les batteries de la machine, installée en haut de la colline à la sortie de la ville, sont trop usagées. J'y suis monté la semaine dernière vers midi sous une température de 40°. Au sommet, on peut voir le désert s'étendre sur des centaines de kilomètres. "Les scorpions, les serpents et les chacals viennent chercher de l'ombre ici  pendant la journée", m'a expliqué Adam Moussa, mon chef technicien. Il a eu l'intelligence de me le dire une fois redescendus.

A 15H, réunion quotidienne au HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés) pour faire le point sur la sécurité (the big issue). On vérifie les radios pour l'appel de 19h30 - "Alfa tango base, etc." Mon pantalon est ceinturé d'appareils téléphoniques en tout genre dont le plus précieux s'appelle Thuraya. Miracle de la globalisation, je peux envoyer des sms en France avec mon cellulaire local.

A 19H, retour à la maison (couvre feux des ONG car très risqué de circuler après la tombée de la nuit). Je branche le générateur pour avoir 3H d'électricité. J'en profite pour écrire mon rapport quotidien à Washington. Je l'envoie avec mon réseau satellite (seule connexion Internet possible). La journée se finit à 20H. Je prends une douche tiède car la température monte jusqu'à 45° la journée (contre 20° la nuit). Repas à 21H, au lit à 22H. Il m'arrive néanmoins, avec Fiacre, de ne pas respecter le couvre feux et de m'attarder à la Radio ou "Chez Fafa", la seule buvette de la ville, tenue d'une main de fer par une Camerounaise bien portante. Ce n'est pas très prudent. Mais comme le dit Fiacre, qui trouve des justifications à tout, "on reste des journalistes dans l'âme".

Nous avons deux autres radios, Radio Absoun dans le Nord-Est, et Radio Sila, dans le Sud-Est. Je dois m'y rendre au moins une fois par mois. J'ai déjà visité Radio Absoun à Iriba, en territoire Zaghawa. C'est pire qu'Abéché en terme de conditions de vie. Je vais dans le sud, apparemment la zone la plus volatile, la semaine prochaine.

Nous diffusons 3 journaux d'information par jour (matin, midi et soir) sur les 3 radios et en 3 langues (Français, Arabe et Zaghawa ou Massalit selon les régions). Nous avons six magazines hebdomadaires (diffusés 3 fois par semaine en 3 langues). "Elles parlent, elles écoutent" est mon émission préférée. Elle raconte la condition des femmes (excision, mariage forcé, violences conjugales, etc.). Mon objectif est de créer 2 nouveaux magazines dans les 5 prochains mois. J'ai déjà une idée assez précise pour le premier d'entre eux. Je voudrais qu'on fasse une chronique de la vie quotidienne dans les camps, histoire de ré-humaniser un peu les réfugiés. Nous sommes très écoutés. D'après un survey du HCR, notre taux de pénétration dans les camps et dans les populations tchadiennes seraient de 75% en moyenne (environ 650,000 personnes en heure de pointe) - ce qui nous a valu la reconduction du financement du HCR pour un an.

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Voilà. Que dire de plus ? Longue vie à La Voix du Ouaddaï ! En souhaitant bon courage à Jocelyn Grange et son équipe. Avec mes pensées les plus fraternelles, qui je l'espère arriveront de l'autre côté de la Terre...
 
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> Pour en savoir plus (mais en anglais) : go to Internews
> Pour lire un article de Jocelyn Grange, c'est .
> Pour lire son livre (Essentiel Milan) sur les Palestiniens, c'est ici.

 

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- Allô, Soliman ?

L'année dernière - c'était à la fin du printemps, je crois - je reçus un appel téléphonique assez surprenant. Au bout du fil, une jeune Française, chrétienne, qui rentrait tout juste d'un pèlerinage en Terre Sainte et avait lu mon roman Soliman le Pacifique (Journal d'un enfant dans l'Intifada), souhaitait que je la mette en contact au plus vite avec le jeune Soliman, "l'auteur" du journal qui l'avait émue.
- Pouvez-vous me donner son adresse ? me demanda-t-elle. Je voudrais lui écrire !
Je dus rester muette un instant, ni tout-à-fait sûre de bien comprendre, ni tout-à-fait sûre de savoir comment lui répondre. C'est presque un peu honteuse que je finis par lui "avouer" la vérité.
- Soliman n'existe pas. C'est un personnage de fiction. Et son journal, c'est moi qui l'ai écrit.
Ce fut à son tour de se taire, déçue sans doute et peut-être gênée de sa méprise. Aussi la rassurai-je...
- Mais vous savez, le reporter qui a écrit la préface du roman m'a dit qu'il en avait rencontrés beaucoup, là-bas, des petits Soliman... portant les mêmes espoirs, exactement.
Alors, elle me raconta son voyage et ce qui lui avait donné envie de m'appeler. À la fin de son récit, je lui proposai de m'écrire.
- Soliman est un peu mon enfant. Je l'aime, le porte en moi. Écrivez-lui, écrivez-moi.
Ce qu'elle fit volontiers, joignant à son courrier de belles photographies...
Du fond du coeur, merci à vous, mademoiselle M.!
  
PS : Bientôt des extraits de la lettre adressée à Soliman...

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Droit dans le mur

C'est le nom de l'exposition de Saïd Fortas, photographe dont j'ai croisé le chemin... en Bretagne !
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Cette belle rencontre n'était pas due au hasard ! Elle avait été préméditée par Katell Sadivan Breton, l'une des "bonnes fées" organisatrices du Prix Ados Rennes et Ille-et-Vilaine pour lequel mon petit Soliman était nominé !
> Pour en savoir davantage, cliquez sur l'image.

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24.07.2007 | Lien permanent

- Allô, Soliman ? (suite)

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Voici, comme promis, des extraits de la lettre destinée à Soliman, dont j'ai parlé dans ma note précédente...

 

Cher Soliman,

je m'appelle M. J'ai 30 ans, je suis française d'origine antillaise. Je suis née aux Antilles mais j'ai grandi à Paris, d'où je t'écris.

J'écris car je viens de finir de lire ton journal, qui m'a vraiment bouleversée. Sache que je suis très peinée de lire ce que tu vis, toi, ta famille et ton peuple, depuis trop longtemps déjà. (...)

Avant de venir en Israël, je ne savais pas ce qu'était un pays en guerre. Mais j'ai pu m'en rendre compte dès mon arrivée à l'aéroport de Tel-Aviv, où j'ai été retenue plus de cinq heures sans savoir pourquoi. J'ai subi interrogatoires sur interrogatoires. Je me suis mise à pleurer, car j'avais la peur au ventre. C'était la première fois que je quittais mon pays et jamais je n'avais vécu une telle expérience ! Dès lors, j'ai réalisé où je mettais les pieds.

Mais moi, je n'ai vécu cela que cinq heures de ma vie. Ton peuple et toi le vivez chaque jour. Sache, Soliman, que je ne veux pas prendre parti dans ce conflit. Mais cela me fait mal de voir tant de souffrance dans le monde et cela me touche d'autant plus que je suis chrétienne. Si je t'écris, c'est pour te dire que tu n'es pas seul face à tes souffrances. Moi, je suis avec toi. Nous tous, Chrétiens, nous prions pour la paix dans le monde entier.

Sache Soliman que Dieu est avec toi. Ouvre ton coeur à Dieu. Parle-lui, confie-toi à lui comme tu le fis autrefois dans ton journal. Parle-lui comme tu parles à ton meilleur ami. Parle-lui comme tu pourrais parler à ton grand frère Chéri, que tu ne vois pas mais dont tu peux sentir la présence. Dieu est là, il t'écoute. Et rien n'est impossible à Dieu. Il t'aime comme il aime chacun d'entre nous. (...)

Je voudrais te donner ma foi, ce trésor que j'ai reçu un jour de ma vie où tout me semblait perdu et désespéré... Que Dieu te bénisse et te garde toi, ta maman, Yaya, Lili, Nora, Samy, Nabila et tous les autres.

À toi mon petit frère,

M.

 

Lors de notre conversation téléphonique, je n'avais pas caché à mon interlocutrice que j'étais profondément athée... Sa seconde lettre s'adresse à moi.

 

Chère Véronique,

je suis très contente, finalement, d'avoir pu parler à mon petit frère - ou plutôt, ma petite soeur (rire) !!! Encore une fois, je vous le dis, je suis très touchée par l'histoire de Soliman et je m'étais peut-être même un petit peu attachée à lui et sa famille. Ce livre m'a ouvert les yeux et le coeur sur le monde. Je ne sais pas encore ce que sera demain, mais ce dont je suis sûre, c'est que je veux être au service des autres. Je veux donner ma vie à Dieu.

Merci, Véronique. Que Dieu vous bénisse et vous garde, vous et votre famille. Et que ce don que Dieu vous a donné d'écrire puisse toucher le coeur du monde entier.

M. 

e5518c385409770c3dc294177c1e1f18.jpgChère mademoiselle M.,

vous lire m'a beaucoup "remuée". Comme je vous l'ai dit, je ne crois pas en Dieu. Cependant j'admire votre foi - ou plutôt, votre espoir de faire partager aux autres la joie et la force que vous y puisez personnellement. Les mots, si généreux, par lesquels vous terminez votre lettre m'ont très sincèrement touchée. J'ai compris que nos deux espérances - l'une chrétienne, l'autre humaniste et athée - sont sœurs... "jumelles de cœurs" écrirait Soliman-!

Je vous souhaite une vie lumineuse et utile aux autres, comme vous y aspirez vous-même. Et vous embrasse fort,

Véronique


PS : Soliman vous salue chaleureusement, lui aussi !

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Soliman en Suisse

Petite fierté. Sur le portail officiel de l'éducation suisse, Soliman le Pacifique est à l'honneur. Juste entre Le chat de Tigali de Didier Daeninckx et  Persépolis de Marjane Satrapi ! Référencé aux mots-clés "droits humains", "éducation à la paix" et "racisme et exlusion", il est proposé à l'étude en cours d'histoire, de français et d'éducation à la citoyenneté. En voici la présentation :

 

Ce livre permet de découvrir la vie quotidienne du peuple palestinien. Une brève présentation rappelle le contexte historique et les conditions de la création de l'état d'Israël en 1948 puis la difficile recherche d'un processus de paix viable depuis 1993.
Ce que Soliman raconte, c'est l'absence d'espoir, la rencontre impossible entre deux communautés pourtant proches l'une de l'autre, l'alternative entre haine et colère. Le héros prend le parti d'exprimer sa rage en jetant des mots sur des pages plutôt que des cailloux sur les hommes.

 

Par ailleurs, ce livre fait partie du kit DIGNO, une malette de livres de littérature jeunesse avec dossier pédagogique, destinée à aider les établissements scolaires à monter des projets de sensibilisation des élèves au racisme et à la discrimination. Pour plus d'informations, cliquez ci-dessous.

 

Digno – Neuf livres pour aborder la discrimination

 

 

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11.05.2006 | Lien permanent

À la moulinette de Proust

Le  23  février  dernier,  je rencontrais deux classes de collège à Maurepas, dans les Yvelines. Les élèves avaient lu Lettres à une disparue et préparé de grands panneaux, disposés dans la documentation. Dessus, entre autres choses, des affiches entières de questions, dont certaines empruntées au fameux "questionnaire de Proust".

À la vue de celles-ci, soudain, j'ai senti remonter en moi une vieille angoisse oubliée, l'angoisse de l'interro surprise ! L'éternelle collégienne cachée tant bien que mal sous mon masque d'adulte fut aussitôt tentée d'implorer l'indulgence - voire la pitié - de ses examinateurs. Au secours ! Je n'ai pas révisé, moi ! Je ne sais pas quel est mon principal défaut - j'en ai trop ! Ni comment j'aimerais mourir. Et si la couleur que je préfère est tantôt le rouge, tantôt le noir, je n'ai pas fait mienne la moindre petite devise... La honte intégrale !

Prenant sur moi, tentant vaguement de réajuster mon masque, j'ai tout de même essayé de répondre, le plus honnêtement possible. Voyant que peu à peu je rentrais dans le jeu, de nouvelles questions se mirent à fuser... Et mes réponses aussi ! Finalement, l'échange eut du rythme et il fallut l'interrompre pour passer à la suite.

Ainsi me suis-je entendu dire que ma fleur préférée demeure la pivoine - ce qui n'a rien d'étonnant pour une grande timide rougissant à tout bout de champ ! - et que j'aimerais mourrir tout en le sachant, le temps de dire adieu à ceux que j'aime...

 

De Proust à Frankenthal

À la question "Quel est votre héros dans la vie réelle ?" j'ai un peu hésité, cherché dans le passé... Puis, tout à coup, j'ai pensé à un homme dont je venais tout juste de découvrir l'existence, grâce à l'association Shalom Arshav (La Paix Maintenant). Cet homme s'appelle Itzhak Frankenthal. Il est israélien, juif orthodoxe et en 1994, il a perdu son fils Arik, assassiné par des militants du Hamas. Face à ce drame personnel, inscrit dans un drame évidemment bien plus grand, cet homme a réagi d'une manière extraordinaire : "Je n’ai pas voulu devenir un autre de ces parents endeuillés qui ont perdu un enfant et qui soutiennent cette même politique qui a causé sa mort. Je n’ai pas voulu cela."

Aussi a-t-il liquidé sa société et utilisé les fonds pour créer une association de parents endeuillés - palestiniens et israéliens - vouée à la réconciliation entre les deux peuples. Les parents se sont rencontrés, ont pleuré ensemble, puis sont allés porter le message de l’acceptation mutuelle dans les écoles et dans d’autres institutions, en Israël, mais aussi à Gaza et en Cisjordanie. Ces actions conduisent Itzhak Frankenthal à rencontrer des Palestiniens de tous horizons, y compris de nombreux militants du Hamas. L'échange n'est pas toujours facile, bien sûr : "Certains de ces gars-là hurlent avec une telle colère... Ils n’ont pas l’occasion d’exprimer leurs émotions à un Israélien. Mais la colère, c’est si proche d’une douleur insupportable que souvent, ils hurlent jusqu’à ce qu’ils s’effondrent en larmes."

Ces paroles m'ont beaucoup touchée. Comment ne pas les rapprocher de ce que j'ai écrit dans Soliman le Pacifique (Journal d'un enfant dans l'Intifada) ? Nora, la grande soeur de Soliman, comme lui pacifiste, se désespère. Puis Rouslan, l'ami de toujours, lui répond...

-

"(...) Nous, on voudrait que ça change. Mais on ne sait pas comment faire ! Tous les autres, ceux qui veulent la guerre, la vraie, hurlent plus fort que nous. La paix, la fraternité, toutes ces idées généreuses ont l'air tellement utopiques face aux cris de vengeance...

- Parce qu'elles demandent aux hommes des trésors de sagesse, a dit Rouslan. Pour faire la paix, il faut essayer de comprendre l'autre. Il faut donc l'écouter. Et cesser de crier... Mais cesser d'avoir mal ne se décide pas. Or, nous avons mal. À notre identité, notre histoire, notre terre. C'est pourquoi nous crions..."

-

Aujourd’hui, Frankenthal s’est engagé dans un nouveau projet, l’Insititut Arik (http://www.arikpeace.org/Eng/), grâce auquel il veut faire comprendre à ses compatriotes que "les Palestiniens réagissent aux souffrances que leur inflige l’occupation. Une fois l’occupation terminée, les deux peuples seront en mesure de vivre côte à côte, dans la coexistence et la stabilité". Pour les convaincre, il consacre aujourd’hui sa vie à encourager les Palestiniens à envoyer ce message. Seuls les Palestiniens, pense-t-il, peuvent faire comprendre aux Israéliens qu’ils ne sont pas une espèce à part, qu’ils ne sont ni intrinsèquement violents ni emplis de haine, mais des gens comme eux.

Son histoire personnelle lui donne la légitimité nécessaire pour porter ce message. "Mon fils, Arik, est né dans une démocratie. Il avait une chance de connaître une vie normale, tranquille. Il adorait sa vie, et pensait par ailleurs qu’il fallait que nous parvenions à faire la paix avec les Palestiniens, sans quoi nous ne survivrions pas. L’assassin d’Arik est né dans une occupation terrible, subissant humiliation après humiliation, une sorte de chaos éthique ; Si mon fils était né à sa place, il aurait pu finir par faire la même chose. Que tous ceux qui sont sûrs de leur bon droit, qui parlent de la cruauté des meurtriers palestiniens, se regardent bien dans le miroir."

Ces mots-là aussi font écho à Soliman, qui s'interroge :

-

Pourquoi notre histoire n'émeut-elle personne ? (...)

Aucun homme, sur la terre, ne peut accepter cela sans colère. Subir et se taire.

(...) Nos grands-parents ont été chassés de chez eux, nos parents se sont révoltés en vain. Maintenant viennent les enfants... et même en nous élevant loin des sentiments de haine, de vengeance, on ne peut empêcher la colère d'être là. De germer dans les coeurs. De couleur dans les veines. On peut mettre en garde contre elle, on ne peut pas faire qu'elle n'existe pas.

Souvent, je me demande si je penserais pareil si je n'étais pas palestinien.

C'est drôle à dire, ou plutôt, c'est étrange... parfois j'essaie d'imaginer que je suis juif et que je vis en Israël. Eprouverais-je alors la même compassion ? Notre douleur me révolterait-elle autant ?

Tout au fond de mon coeur, dans mon for intérieur - et je le jure sur la tête de ma Yaya - je suis sûr et certain que oui.

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Sans doute comprenez-vous pourquoi l'engagement d'Itzhak Frankenthal me touche... Si cette question vous intéresse aussi, je vous invite à lire l'article passionnant qui concerne son action sur le site de Shalom Arshav.

Quant à Proust, si vous voulez connaître ses propres réponses au fameux questionnaire, il faut aller ici. Vous y verrez que lui non plus n'avait pas de devise... Ouf ! Merci, Marcel !

 

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21.03.2006 | Lien permanent

Une belle journée !

Melina, Paloma et Nina. Stella, Rosita et Lelia. Delphine et sa grand-mère. Yaya et Nabila. Zeki, Nora, Lili. Assia et Nadia. Fulberte, madame Albert, Akiko la couturière, Violette et Alizée. Toutes ces femmes, et jeunes filles, ont pris vie sous ma plume ! Souvent pour dire les peines, les révoltes et l'espoir d'autres femmes, bien réelles, dont la voix porte peu dans le grand brouhaha du monde...

En ce jour comme en d'autres, je pense à elles. Qu'elles soient à Buenos Aires, Gaza ou Jérusalem, qu'elles défilent coiffées de blanc ou vêtues de noir, qu'elles se battent pour la paix, la justice et l'égalité ou contre l'oubli, la violence et les discriminations, je me sens proche d'elles et solidaire de leurs combats...

Et il y en a tant à mener partout sur la Terre ! Assez pour tous les jours des 100 prochaines années ! (Si vous vous sentez d'humeur militante, je vous invite à visiter le site des Pénélopes sur lequel je me rends régulièrement - il est dans les liens de ce carnet depuis très longtemps.)

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Maiyasa (prononcer "Mayassa")
par Bruno Pilorget
Octobre 2009


Pourtant, cette année, je voudrais dédier ce 8 mars à toutes les femmes, jeunes filles et fillettes, rencontrées lors de mon récent voyage en Palestine : Maiyasa, Joséphine, Suha et Joumana, Amal, Mary, Maram et Ruba, Baha, Chantal et Hanane... Je pense très fort à elles aujourd'hui - et pour longtemps, car je travaille désormais à la rédaction de leurs portraits, d'après les entretiens réalisés lors de nos rencontres. Un livre devrait paraître, si tout se passe comme prévu, fin 2011.

Je pense très fort à elles et leur envoie toute mon amitié, pleine de tendresse et d'admiration. Belle journée à toutes !


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Soliman sur les ondes

Cet après-midi à 18h15, vous pourrez m'entendre parler de mon roman Soliman le Pacifique (Journal d'un enfant dans l'Intifada) au micro de l'émission "À plus d'un Titre" sur RCF Saint-Etienne. Si vous n'êtes pas dans la région stéphanoise, pas de souci : vous pouvez l'écouter sur Internet. Ensuite, l'émission sera encore disponible à l'écoute pendant quatre semaines... Bref, vous n'aurez aucune excuse pour ne pas l'avoir entendue ! ;-)

En complément de l'émission, voici l'article paru dans la presse locale vendredi dernier, jour de son enregistrement public. Il est signé Jacques Plaine, le dynamique fondateur de la fameuse Fête du Livre de Saint-Etienne. Merci à lui pour cette fort belle lecture de mon livre... ainsi que pour son accueil attentif et souriant !

 

couvombresolimanpf.jpg« Cher Journal ». Par ces deux mots chaque jour Soliman commence à écrire. A écrire « tout ce qui lui passe par la tête, des plus petites choses de son quotidien à ses rêves les plus grandioses ». Dans un cahier à spirale poussiéreux - tout gondolé - qu’il a trouvé dans les affaires de son frère. Rouslan le vieil instituteur - qui en voisin attentif a mesuré l’ampleur de ses souffrances - lui en a soufflé l’idée : « Essaie d’écrire aussi tout ce qui te fait mal ». Et il a ajouté : « ça décourage les cauchemars ».

Car des cauchemars, Soliman en collectionne - et de la pire espèce - dès qu’il ferme les yeux. Depuis sept ans. Depuis la première Intifada. Depuis que Chéri - son grand frère âgé alors d’une douzaine d’années - a été abattu par un soldat israélien. Un soldat pris de panique. Un bleu qui avait perdu son sang froid et avait lâché une rafale de mitraillette devant la porte du collège. Et Chéri avait ramassé une balle perdue. Mort sur le coup. En pleine rue. Yaya - la vieille grand-mère Yaya - s’était agenouillée aussitôt et, prenant la tête de Soliman entre ses mains, lui avait fait promettre de ne jamais se venger. « Sol, s’il te plaît, promets-moi... ». Et il avait promis.

« Cher Journal ». Soliman, quand monte le soir et qu’il est seul dans sa chambre, lui raconte son quotidien pourri de gamin des « Territoires ». Son quotidien et celui des siens. Celui d’une famille écrasée de douleurs par la mort de Chéri, le grand frère. Mais d’une famille de silencieux qui se refusent à parler. A parler du passé : « le passé n’entrait jamais chez nous...et maman fermait la porte à tout ce qui ressemble à des souvenirs ». Une famille qui survit tant bien que mal sur cette terre de Cisjordanie où tout est fait pour empoisonner l’ordinaire, décourager les espérances - les grandes comme les petites - et transformer le plus banal des projets en chemin de croix - mais peut-on parler de corde dans la maison du pendu ? Sur cette terre de Cisjordanie où la peur génère la peur, où la haine nourrit la haine et où les vivants ont déjà un pied dans le royaume des morts.

« Cher Journal, Yaya dit que ce qui nous sépare aujourd’hui, les Juifs et nous, ce ne sont ni nos religions, ni nos langues, ni nos coutumes différentes, ni même plus la question de terre, mais tous ces morts, tous ces chagrins inconsolables que nous nous causons les uns les autres sans fin. »

Aujourd’hui publié en livre de poche, «  Soliman le Pacifique » a obtenu en 2002 le Prix du roman de jeunesse du Ministère de la Jeunesse, de l’Education et de la Recherche.

 

Je tiens également à remercier ici Jean-Claude Duverger pour ses questions, pertinentes autant que bienveillantes, et  madame Colette Plaine pour sa très grande gentillesse !


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18.05.2009 | Lien permanent

Closed Zone

Yoni Goodman, le (bien nommé) directeur de l'animation du fameux Valse avec Bachir, est aussi l'auteur de ce petit film...

 

> Pour en savoir plus : www.closedzone.com.

 

Pour ceux qui ont lu mon roman Soliman le Pacifique, peut-être ces images résonneront-elles avec ces quelques mots (p. 104, suite de l'extrait publié ici en janvier) :

 

Je reste à ma fenêtre, je regarde le ciel, rêvant d'être un oiseau. Libre d'aller où bon me semble.

Les oiseaux nous survolent avec indifférence. Ici, là-bas, peu leur importe. Ils n'ont que faire des frontières et des couvre-feu ! Pour eux, nous ne sommes rien de plus que d'autres animaux, plus grands qu'eux, plus bruyants et plus dangereux...

Le voilà, l'innocent !

Celui qui peut dormir en paix...

Et pourtant, cela ne l'empêchera d'être tué, lui aussi. Et peut-être en plein vol. D'un coup de fusil ou d'un jet de pierre.


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Cher Journal,

C'est la nuit noire. Je me relève pour écrire. Plus fort que moi. Je ne peux pas dormir. Je guette tous les bruits. Dedans, dehors. Je ne sais pas pourquoi. Comme si j'y étais obligé. Pourtant, personne  ici ne dort, j'en suis sur.
Yaya ?
Je jurerais que non.
Un jour, elle a dit qu'avec l'âge on perdait le sommeil.
On vieillit vite, ici...
Rouslan, lui non plus, ne dort pas. Il se tient assis devant sa fenêtre. Au dessus de ma chambre. Je l'entends qui bouge de temps en temps. Il se tue les yeux à lire ou à écrire.
Comme moi...
Ah, la belle armée que voilà ! Tremblez, soldats ! Sur vos chars, dans vos hélicoptères ! Tremblez devant les glorieux insomniaques ! Voyez ces braves fantassins, comme ils manient bien le stylo ! Admirez-les, qui versent du sang d'encre plein leurs champs de bataille en papier quadrillé !
Qui dort en ce moment ? Qui peut dormir encore ? La peur, la haine et le malheur au ventre. Qui peut accomplir ce prodige ? S'abandonner, confiant, dans les bras du sommeil...
Un fou ? Un sage ? Un innocent qui ne sait rien, ni de la vie, ni de la mort. Un enfant, peut-être ? Un nouveau-né, alors. Le bébé d'Assia en sait déjà trop. Il tète la révolte au sein d'Assia et sent les bombes frôler son berceau. Trop tard ! Le voilà sur la liste des abonnés aux cauchemars...
Et mes soeurs, dorment-elle ?
Je ne sais pas. Nous ne parlons pas de cela. Nous ne parlons pas non plus d'autre chose. Nous ne nous parlons presque plus.
Le désespoir, la peur et la colère, ça pèse lourd dans nos poitrines.
Ça les écrase, les mots.
Ça les étrangle...
Pauvres mots ! Ils sont à notre image, sans force et désarmés. Ils restent là, tapis dans le noir de nos coeurs, comme de petits animaux traqués.
Parfois, ils s'impatientent, palpitant de l'envie de dire ce qu'ils savent de nous. Mais il ne peuvent plus s'échapper de nos bouches. Ils essaient quelquefois, n'y arrivent jamais. Ne parviennent plus à se hisser jusque-là...
Heureusement, tu es là, cher Journal.
Dès que je t'ouvre, les mots reviennent. Me coulent du coeur à la main. Je me demande ce qui leur donne ce courage.
Le silence, peut-être...
Car user de la voix, c'est risquer de crier d'effroi.

Extrait de Soliman le Pacifique (Journal d'un enfant dans l'Intifada)


Ayant lu ces quelques lignes, peut-être comprendrez-vous mieux pourquoi j'ai tant de mal à célébrer l'année qui vient, à vous faire partager rêves et projets "comme si de rien n'était"...
Je pense aux cousins de Samy, à tous les petits Soliman, qui (sur)vivent (?) à Gaza. Et mon coeur tremble avec les leurs, tétanisé par la fatigue de toujours espérer en vain. Par la tristesse, immense. Et ce sentiment poison d'impuissance.
Désolée de plomber l'ambiance...

Ça les écrase, les mots.
Ça les étrangle...

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(La Paix Maintenant)


> À suivre, Gaza Sderot Blog (via Arte.tv) et toujours les sites de Shalom Arshav et de la CCIPPP.

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