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12.01.2015

La plus difficile

Depuis bientôt 10 ans que je publie mes notes ici, me voilà aujourd'hui certainement devant la plus difficile à écrire... Car il s'agit de rendre hommage, en guise d'adieu, à un homme lâchement assassiné mercredi, dans l'attentat contre Charlie.

Ce matin-là, Michel était venu rendre ses dessins à Cabu, qui les avait exposés lors du dernier Rendez-Vous du Carnet de Voyage, en novembre dernier. Très gentiment, sachant que cela lui ferait plaisir, Cabu invita Michel à rester assister à la première conférence de rédaction de l'année. Vous connaissez la suite.

Je ne sais à qui m'adresser... À toi, Michel, qui ne peux plus me lire ? À vous, sa femme et sa fille, dont j'imagine la peine immense ? À vous, mes amis du beau Rendez-Vous, organisateurs bienfaiteurs et confrères carnettistes, trop tôt réunis dans ce grand chagrin ? Aux amoureux fous de voyage, à ceux pour qui la vie ne vaut qu'un crayon à la main, comme ceux de Charlie ? À tous, tous, tous ? Même à ceux qui osent trouver quelque excuse aux assassins ?

Oui, pourquoi pas ? Ceux-là, j'aimerais qu'ils sachent au moins une chose... Dès 2009, Michel fut l'un des parrains les plus enthousiastes de notre projet de carnet palestinien. Je n'ai pas connu Michel en Auvergne, ou à Paris, mais à Ramallah. Fidèle à la devise ("Il faut aller voir") de l'association qui organise le festival, il était venu avec nous, rencontrer deux jeunes photographes et journalistes sur place pour les inviter à venir exposer avec nous. Ainsi, mon premier souvenir de toi, Michel, se passe autour d'un bon repas halal.

 

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Ce soir-là, tous ensemble sur Al Mannara Square.

 

Michel, pour moi, c'est d'abord un sourire complice, l'œil qui frise, des mains qui parlent et une voix qui accueille. Peut-être ne l'ai-je pas assez connu pour assister à l'un de ses célèbres coups de gueule ? Je garde surtout en mémoire notre conversation sur l'écriture, à l'arrière d'une voiture, sur la route 60 qui traverse la Cisjordanie, puis la visite recueillie de la "Mosquée d'Abraham" et celle, bouleversée, de la vieille ville d'Hébron sous l'emprise des colons...

Les deux journalistes palestiniens, Saed Karzoun et Muhammed Muheisen, le premier depuis Ramallah, le second du Pakistan où il est en reportage dans un camp de réfugiés, nous ont fait part de leur immense tristesse, comme en témoigne ce message, envoyé par Muhammed: «Je suis sans voix, choqué et triste, je ne sais pas quoi dire, j’ai suivi les nouvelles et j’étais inquiet, mais jamais l’idée que Michel soit parmi les victimes ne m’a traversé l’esprit. Je suis tellement désolé et triste. Je n’ai eu que de très bons moments avec lui. Nous avons passé des journées entières ensemble, il fut mon invité, dans ma maison... Cela me brise le cœur. S’il vous plaît, transmettez mes condoléances à sa famille.»

 

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Hommage de la revue Bouts du Monde.

 

Mon dernier souvenir de toi, c'était il y a deux mois : le jury du Grand Prix se réunissait à Paris, au siège de la fondation Michelin. Lauréate de l'année précédente, j'avais l'honneur d'y participer à mon tour. Nous étions huit autour de la grande table. L'idée de juger mes confrères ne m'enchantait pas trop, mais tu as su me mettre à l'aise. Tu animas chaleureusement les débats, t'emballant pour tel ou tel, et tu nous fis part de ta grande admiration pour Cabu - tu venais de le rencontrer - pour son talent, mais aussi pour sa modestie, sa gentillesse et son total désintéressement.

Après les délibérations, nous nous retrouvâmes tous les huit au restaurant du coin : la matinée prit fin, arrosée de rires et de vin. Quelle tristesse de savoir que plus jamais je ne partagerai ta table et ta conversation, pas même un sourire complice...

Michel, t'ai-je assez remercié pour ton soutien sans faille ? Je n'en suis plus très sûre. À la fin du livre, évidemment. Mais de vive voix ?

Merci pour ta fidélité, ta générosité, ta grande humanité. Personne ne t’oubliera, ni ici, ni à Ramallah.

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Hommage de Bruno à Michel.

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